Agression d’un cycliste : tout sauf un fait isolé…

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Lundi, 17h36, Paul(1) circule à vélo sur le secteur Trion (Lyon 5°). 17h37, un échange apparemment anodin s’entame au feu tricolore avec un automobiliste. 17h39, le conducteur, en furie, percute Paul volontairement et le traîne à terre. Face aux interventions des passants, il brandit une carte de police (en fait, factice, selon nos sources) vociférant : « Mais vous les cyclistes, vous rendez fou tout le monde ».

Cette scène de violence automobiliste n’est malheureusement pas un cas isolé… Une violence qui est du reste subie par de nombreuses usagères & usagers de la route (dont des automobilistes « apaisés »), et nos cyclistes de la métropole de Lyon n’y font pas exception.

Notre association partage ici en exclusivité l’entretien avec *Paul, le récit de son agression et les conseils en cas de violences automobilistes volontaires…

Carrefour Trion/Choulans/Barthélémy Buyer, au feu duquel l’agression a eu lieu

L’interview de Paul

LVV : Bonjour Paul. Est-ce que tu peux nous raconter la douloureuse agression que tu as subie le mois dernier sur le secteur Trion (Lyon 5°) au cours d’un de tes déplacements à vélo ?

Paul : C’était un lundi en quittant le travail, je rentrais chez moi. J’arrive au niveau d’un feu, comme je dois tourner à gauche je me place sur le sas vélo(2), et on arrive en même temps avec la voiture qui se place également dans le sas. Je lui demande cordialement de se reculer pour laisser le sas libre, – il y a de la place derrière -, mais l’automobiliste refuse. Nous convenons qu’il me fera signe au passage du feu au vert (que je ne peux pas voir en l’état), je le remercie alors.
Mais subitement, il se met à m’invectiver : « et remets-toi devant, parce que si je redescends, je vais te péter ton cas », et enchaîne alors sur des menaces « je vais te taper ». En l’espace de 2 minutes, la situation dégénère. Suivent les coups avec la portière, la tentative de m’écraser avec son véhicule, la projection sur le trottoir…

LVV : Comment expliques-tu cette réaction aussi fortuite que complètement disproportionnée ? S’agit-il d’un simple « coup de sang » condamnable mais finalement isolé selon toi ?

Paul : Je pense que c’est tout sauf un cas isolé; ce n’est du reste pas la première fois que je me fais agresser non seulement à vélo mais parce que je fais du vélo : un automobiliste qui me frôle intentionnellement rue François Genin, un autre qui me coupe la route au carrefour Point du Jour et hurle « vous les cyclistes, vous devriez dégager », etc.
C’est comme si les cyclistes, une fois en selle, se trouvaient comme déshumanisés. À vélo, on devient automatiquement le « propagandiste écolo-bobo » à abattre.
« Vous les cyclistes, vous rendez fou tout le monde, c’est à cause de vous que les gens votent FN » s’est justifié mon agresseur. Sur la métropole et partout en France, il y a plus en plus de violences anti-cyclistes, sur fond de relâchement du respect du code de la route et de multiplication des cas de transgressions graves, en lien parfois avec une culture masculiniste de la domination au volant.
Cette agression, c’est aussi le parfait exemple d’un problème qui a eu lieu à cause d’un manque d’aménagement, ou de l’idée, naïve, selon laquelle nous pourrions tous « partager la route » en harmonie; quand en réalité c’est nos vies, notre sécurité, que nous mettons en jeu. Il y aurait eu un carrefour sécurisé avec une infrastructure, une vraie infrastructure, ça ne serait jamais arrivé. Le sas ? Il n’est jamais respecté : la peinture ce n’est pas de l’infrastructure. Sur le nouveau carrefour Charcot, réaménagé en carrefour hollandais, plus haut sur le 5° secteur Point du Jour, ça ne serait jamais arrivé.

LVV : Quelles ont été les suites de cette agression pour toi ?

Paul : 2 jours d’ITT d’abord, une semaine et demie de sommeil perturbé où je ressassais la scène, mais aujourd’hui cela va mieux.
Je ne peux que conseiller à ceux se déplacent à vélo de s’équiper – ma caméra est une Ghost Drift, achetée 115€ là où des modèles type GoPro affichent rarement des tarifs en dessous de 400€… : cela permet de se défendre bien sûr et de faire valoir ses droits, versus un « parole contre parole », mais aussi cela influence notre propre comportement, car on se sait filmés. C’est d’ailleurs sans doute ce qui m’a permis de rester en un certain sens serein, de ne pas rendre les coups, alors même que j’étais agressé.
J’ai par ailleurs déposé plainte, au commissariat du 5° rue des Anges, où j’ai été très bien reçu, par un agent à l’écoute. La police judiciaire va mener une enquête et statuer sur la question de savoir si cela justifie d’être porté aux tribunaux, dans un délai d’1 ou 3 mois au-delà duquel je peux porter la plainte directement auprès du procureur (ndlr : notre association se portera dans ce cas partie civile).

LVV : Qu’attends-tu de ton dépôt de plainte ?

Paul : Mon souhait est simple : que cette personne soit sanctionnée, fermement, et qu’il soit mis face à ses responsabilités, à fortiori en tant que potentiel futur agent de la police. Et que le sujet de cette recrudescence des violences automobilistes soit pris très au sérieux par la préfecture. Aujourd’hui, je suis en colère. Pas juste pour moi-même, mais parce que ces agressions sont en train de devenir le lot commun des usagers du vélo… L’autre jour, la maman de la meilleure amie de ma fille me racontait avec effroi cette voiture qui lui avait reculé dessus et avait commencé à l’agresser verbalement, puis physiquement, à coups de griffures au visage, assénant des « vous, les cyclistes… ».

Pour aller plus loin

Les vidéos de l’agression et de la discussion avec l’automobiliste ensuite (attention, images violentes)

D’autres personnes se déplaçant à vélo ont eux aussi vécu des agressions « gratuites » : par exemple en Haute-Garonne et dans le Gers, une dizaine de cyclistes ont été menacés par un duo de chauffards. Ces événements sont le reflet d’une augmentation plus générale de l’agressivité au volant, comme le révèle cette enquête de Vinci Autoroute.

La Ville à Vélo a lancé un sondage en interne auprès de ses adhérentes et adhérents : parmi les 99 répondants, 86% ont subi au moins une agression physique ou verbale alors qu’ils se déplaçaient à vélo. Le vélo-bashing est donc malheureusement très loin d’être marginal.

Aux usagères et usagers du vélo, qui ont subi, subissent, ou subiront ces violences : notre association se tient mobilisée. Nous continuerons de demander des aménagements cyclables de qualité afin que tout le monde puisse rouler sans se demander dans quel état il rentrera… Nous espérons aussi un changement de culture et de mentalité : piétons, cyclistes, automobilistes, nous partageons toutes et tous le même espace de vie. Un cycliste sur la voirie ne « vole » pas la place à un automobiliste, pas plus qu’un piéton qui traverse ne doit être considéré comme une gêne pour qui ce soit.

Si vous vous êtes vous-même fait agresser, consultez notre page dédiée et portez plainte si vous le jugez utile. Si votre assurance responsabilité civile, ou celle de votre carte bleue, comporte une aide juridique, faites-vous conseiller ! Vous pouvez également nous envoyer votre témoignage.

Pour soutenir nos actions, adhérez à l’association !

1. Paul est un nom d’emprunt, la victime souhaitant rester anonyme.

2. Un sas vélo est l’espace délimité au sol en amont d’un feu tricolore pour permettre aux cyclistes d’être mieux vus des automobilistes au moment du redémarrage, notamment pour tourner à gauche. Il est interdit aux autres véhicules de s’y arrêter et c’est punissable suivant le contexte d’une amende forfaitaire de 35 ou 135 €, avec retrait de 4 points sur le permis.